Kenyan Red Cross at South C, Nairobi

Si, dans leur grande majorité, les grandes ONG de part le monde ont encore un certain retard dans l’utilisation des Médias sociaux en gestion d’urgence (MSGU), les organisations de la Croix Rouge y font de plus en plus souvent exception. De la Croix Rouge américaine à la Croix Rouge philippine, les exemples de bonnes pratiques et d’innovations ne manquent pas. Dans le présent article, je vous présenterai les stratégies d’engagement mises en place par la Croix Rouge Kenyane pour sauver des vies au quotidien à l’aide des médias sociaux.

Un article mentionnant que la Croix Rouge Kenyane avait l’habitude de faire partir ses ambulances sur simples tweets avait attiré mon attention, car, à ma connaissance, je n’avais encore jamais repéré ce type d’intervention d’urgence dans une approche systématisée quotidienne. Comme je me méfie bien souvent des tendances de la presse à déformer la réalité en cherchant le sensationnel mais que, d’autre part, j’accordais une certaine crédibilité sur le fond à cet article, j’ai spécialement prévu un voyage personnel sur les MSGU au Kenya en février dernier pour les rencontrer. Compte tenu des multiples et longues mobilisations effectuées avec VISOV, je n’ai pu vous retransmettre nos échanges avant aujourd’hui.

L’entretien passionnant que j’ai eu avec eux a duré plus d’une heure, je vous en résume ici les idées fortes, pouvant être plus qu’étonnantes vis-à-vis de nos habitudes avec nos centres opérationnels de secours. J’espère ici vous retranscrire ces échanges le plus correctement possible et, pour confirmer la mise en place effective de ces pratiques, je prendrai des exemples MSGU issus de leurs propres publications.

Voici donc les idées fortes en MSGU que j’ai retenues de notre rencontre :

Une stratégie efficace pour capter les citoyens sur leurs médias sociaux

La Croix Rouge Kenyane s’est placée dans le quotidien des kenyans en fournissant en temps réel une information qui leur est utile, dans le but de capter leur attention et leur collaboration en situation d’urgence. Ils ont ainsi choisi de développer cette communication quotidienne autour des accidents routiers qui relèvent de leurs missions d’assistances et intéressent beaucoup d’usagers de la route au Kenya, notamment pour ceux qui veulent éviter les engorgements (NDLR : j’avais pris note initialement qu’ils avaient débuté leur stratégie d’engagement sur la problématique plus générale des bouchons routiers mais à la lecture de tweets en 2011-2012, je n’en ai rien vu). Pour ce faire, ils ont mis en place un système de veille multi-canaux sur cette problématique leur permettant de relayer sur les médias sociaux les informations importantes qu’ils captent à la radio ou dans d’autres médias et en suivant le mot-dièse #AccidentAlert .

Cette position reconnue dans ce domaine leur a permis de gagner une audience et de l’engagement citoyen, citoyens qui peuvent leur apporter à leur tour des informations en direct sur les accidents de la route, mais aussi sur toute autre situation d’urgence (attentats, inondations, krash aériens, appels aux dons de sang…). Il sont donc alertés plus rapidement et ont plus d’éléments de situation à leur disposition pour comprendre et traiter l’urgence.

 Les citoyens connectés préfèrent alerter la Croix Rouge kenyane via les médias sociaux que par appel téléphonique

Pour nous qui sommes habitués aux appels téléphoniques d’urgence, cette idée relève d’un vrai changement. Pour alerter les secours, les kenyans qui sont connectés à la Croix Rouge préfèrent le faire à l’aide les médias sociaux plutôt que par un appel téléphonique au numéro d’urgence. Malgré des campagnes de communication sur leur numéro d’urgence, ce sont bien les médias sociaux qui s’imposent. C’est ainsi et ils ont ajouté qu’ils n’ont pas pesé pour que ce soit ce média qui soit plébiscité.

Les kenyans connectés pensent globalement que leur requête sera mieux prise en compte par les médias sociaux qu’au téléphone. Quelles en sont les causes et les tendences générale pour l’avenir ? Je ne le sais pas.

Une qualité d’information d’urgence bien meilleure sur les médias sociaux que lors d’appels téléphoniques d’urgence.

Bien souvent, les MSGU-sceptiques avancent que l’information sur les médias sociaux est peu fiable et qu’elle fait une grande place à la rumeur. Ici, le point de vue est tout autre. En général, pour la Croix Rouge kenyane, l’info provenant des médias sociaux est bien plus fiable que celle donnée au téléphone. Elle considère notamment que les « fakes » (fausses informations intentionnelles sur les médias sociaux) sont si rares que cela ne pose pas de vrai problème. Ils font néanmoins attention aux contextes de tensions interethniques qui peuvent déformer la réalité restituée autour de l’urgence et prennent soin de ne donner aucune prise possible à tout dérapage sur ce point lors de leur communications en ligne.

 

Un des principaux avantages des médias sociaux réside dans le fait qu’ils permettent de mettre à disposition des secours des images lors des situations d’urgence alors que la restitution d’une situation de danger est bien plus difficile, lente et subjective lorsqu’il s’agit d’un contact par appel téléphonique. Malgré ces bons retours d’expérience sur la qualité d’information provenant des médias sociaux, ils utilisent tout de même un système de vérification de l’information très efficace.

Une vérification de terrain s’appuyant sur un réseau national de plus de 6000 volontaires

Un des points forts de la vérification des informations leurs provenant des MSGU est qu’ils peuvent s’appuyer sur un réseau national de 6000 volontaires pour aller vérifier l’information. En moyenne, il leur faut 10 à 15 minutes pour qu’un volontaire de la Croix Rouge kenyane arrive sur les lieux d’une urgence (NDLR : info probablement valable en zone urbaine). Si tous ne sont pas sur les médias sociaux, ceux qui le peuvent préfèrent ici aussi leur échanger des informations autour de l’urgence via les médias sociaux.

Un rôle de meneur en MSGU au niveau national

Une fois l’information vérifiée et validée, ils dispatchent les infos recueillies aux autorités avec lesquelles ils collaborent, notamment via Twitter. Ils sont très souvent les initiateurs du mot-dièse de suivi de la situation et, les autorités tout comme la population connectée, le reprennent naturellement, y partagent des informations sur la situation ou des consignes de mise en sûreté.

Exemple de création de mot dièse par la Croix Rouge Kenyane sur l’accident de ChepSengor

Malgré la réussite de leur stratégie MSGU, il se pose comme partout ailleurs la question des moyens à allouer aux MSGU vis à vis d’autres services qui permettent eux aussi de sauver des vies. Quoiqu’il en soit, les postes en MSGU sont permanents et intégrés avec succès à leurs systèmes opérationnels de secours.

Conclusion

Même si cet exemple ne démontre pas une tendance générale, l’ère de l’utilisation des médias sociaux dans le seul objectif marketing et de réputation touche à mon avis à sa fin. Les citoyens attendront plus que de l’autopromotion et de l’appel aux dons. Ils cherchent une participation active, collaborative des ONG aux échanges autour de l’urgence. L’exemple de la Croix-Rouge Kenyane est un bon exemple de stratégie réussie en MSGU dans le milieu des ONG. Ce succès n’est pas dû à l’achat d’outils chers, ni aux prestations d’experts extérieurs. C’est parce qu’ils se sont insérés au contexte local qui est le leur, en prenant en compte leurs atouts et leurs faiblesses, qu’ils ont pu arriver à ce niveau de réussite, avec une certaine audace et un goût pour l’innovation sociale.

By Cédric Moro

Auteur du blog I-Resilience, je suis depuis plus de 20 ans au service de la prévention des risques majeurs, surtout en Europe et en Afrique. J'allie cette expertise avec mes compétences de développeur d'applications, passé par des grandes boites IT, pour vous écrire ici des articles aux croisements de ces deux mondes.

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