Traiter de la résilience aux catastrophes grâce à internet ne peut se faire correctement sans comprendre l’environnement socio-technique global qu’est internet ; ses dynamiques sociales, politiques, juridiques, économiques et technologiques. La question du renseignement sera abordée ici même car elle implique un profond changement d’internet et du traitement des questions de sécurité et de résilience aux catastrophes que nous analyserons ci-après.

En effet, plus que jamais, l’internet français est en train de muter, principalement pour des raisons politiques et sociales dont il faut ici-même faire le constat. Le gouvernement actuel, appuyé de partis importants de l’opposition, ont décidé de légiférer pour contrôler et bloquer tout ou partie des contenus d’internet tout comme d’analyser, manipuler, modifier et supprimer les données et messages privés des personnes connectées à un système, non seulement en France, mais dans le monde, s’ils estiment que cela touche aux intérêts de la nation, principalement pour le moment au nom de la lutte contre le terrorisme. Le web a toujours été social et il regorge plus que jamais d’informations sociales et privées, plus ou moins difficiles d’accès pour les autorités mais plus que jamais inscrites sur internet, notamment avec l’avènement de l’ère des réseaux sociaux qui s’est ouverte ces dernières années pour toucher la quasi-totalité de la population. Même si un individu décide de ne rien diffuser sur le web, il est fortement probable que d’autres personnes l’évoquent ou publient des données sur sa vie privée.

Cette volonté de l’Etat d’accéder à nos données privées et de censurer les contenus d’internet constitue une rupture dans l’utilisation libre et neutre d’internet ; ruptures que nous avons déjà connues à plusieurs reprises dans notre histoire pour d’autres médias. Par exemple, lors des prémices de la Révolution française, l’Etat cherchait à censurer et contrôler la parution d’écrits ou de dessins dont les contenus n’étaient pas favorables au régime de monarchie absolue en place, pour des raisons de sécurité, en plein développement de l’imprimerie populaire. En 2015, les politiques se défendent de toute atteinte à la liberté d’expression, à la vie privée et au contrôle des masses ; selon eux, il est question de lutter contre le terrorisme et être à la hauteur de la menace.

Dessinateurs tués à bout pourtant pour des caricatures, enfants abattus dans nos écoles pour leurs origines, agents de maintien de l’ordre poignardés ; les raisons de juguler et arrêter ce terrorisme inhumain, aveugle et hautement condamnable provoquent l’adhésion populaire, celle des élus et la mienne. Néanmoins, nous ne devons pas perdre de vue un autre contexte socio-politique, non évoqué par le pouvoir et pourtant indissociable : la forte vague de contestation des hommes politiques par les citoyens, vague contestataire qui ne cesse de monter : forte abstention (50%), poussée continuelle des votes en faveur des partis anti-système ou encore manifestations massives contre les dérives meurtrières causés par des agents de l’Etat tout comme les soulèvements face aux injustices sociales et écologiques (mort de Rémy Fraisse, émeutes de 2005…). Le manque d’adhésion des citoyens à la classe politique représentative ne peut être éludé si l’on souhaite comprendre les craintes de contrôle des masses par le pouvoir, qui ne sont pas si incohérentes dans ce contexte des désillusions citoyennes.

Je partirai pourtant d’un autre constant pour dérouler mon raisonnement. L’élément déclencheur et évoqué par la classe politique comme motif légitime de contrôler internet est le terrorisme. Le terrorisme est rejeté principalement par la population car il atteint à la vie des personnes. La sanction de la mort représente le refus ultime et inhumain de l’expression libre d’opinion qui, nous seulement sous-tend notre idéal démocratique, mais aussi nos droits fondamentaux à vivre et à exprimer nos idées que nous estimons progressistes ou essentielles. Le refus de la mort par la société est une condition du progrès démocratique ; elle est une de nos valeurs essentielles, un de nos fondements. Ce refus de la mort est lié principalement à notre instinct de survie, lui-même fortement lié à nos libertés. Ces libertés nous permettent, plus que la sécurité même, notre adaptation au monde. Sans liberté, l’éventail de nos choix se rétrécit, nos innovations s’éteignent dans le conformisme, nos regards n’osent plus se porter au delà des limites de notre sécurité, vers l’avenir et ses opportunités, faites de risques.

Le projet de la loi du Renseignement qui sera discuté à l’Assemblée nationale ce 13 avril tire sa légitimité de sa volonté de sauver nos vies du terrorisme par plus de sécurité, notamment en recueillant massivement nos données et en permettant l’intrusion dans la vie privée de citoyens suspects ou coupables. La question qui sera donc analysée ci-après est : Les mesures de cette loi sont elles en accord avec le principe légitime d’épargner des vies humaines au nom de la lutte contre le terrorisme et plus globalement de la défense et de la sécurité nationale ? C’est donc un regard nouveau dans le débat que je vais essayer de livrer ici-même, qui ne porte plus seulement sur les libertés mais qui intègre un regard sur la sécurité de nos concitoyens dans ce nouveau cadre législatif.

Dans un premier temps, nous analyserons le fonctionnement administratif et les dispositions techniques contenus dans ce projet de loi et la position des organisations de la société civile. Une fois le cadre de la loi ainsi éclairé, nous analyserons dans un second temps ces dispositions législatives au regard des causes de mortalité dans nos sociétés pour savoir si la régression sensible de nos libertés aurait bien comme effet louable de nous protéger. Nous finirons enfin par mettre en lumière quelques dispositions du projet de loi susceptibles d’avoir des effets de bord sur notre résilience aux catastrophes via internet.

 

I/ Quelle sont les mesures et pouvoirs contenus dans le projet de loi de renseignement ?

1/ le projet de loi sur le fond

Avant d’en arriver aux mesures techniques, analysons cette loi (1) tout d’abord sur le fond. Le projet de loi est avant tout et sans ambiguïté un projet qui renforce les pouvoirs anti-démocratiques de notre société, dans le but affiché de parvenir à une meilleure efficacité des services de renseignement. Comme pour la censure d’internet déjà mise en place en France, unique en Europe, dont la liste effective ou en débat à l’assemblée nationale ne cesse de s’allonger de jours en jours (apopolgie de terrorisme, pédophilie, racisme, antisémitisme, insulte envers les élus, apologie d’anorexie, traite des êtres humains et proxénétisme…), ici aussi le législateur ne veut plus en passer par un juge indépendant, garant de nos libertés fondamentales, nous protégeant des dérives, parfois meurtrières elles-aussi, des services d’espionnage (dérives maintes fois soulignées mais souvent à froid lors de la déclassification exceptionnelle de dossiers classés secret défense ou après des investigations journalistiques minutieuses : la Main rouge (2), l’Affaire du Rainbow Warrior (3) pour n’en citer que quelques uns). De même, l’Institution de la Police nationale, aussi nécessaire soit-elle et qui doit être respectée en tant que telle, ne peut être exempte de tous reproches et la loi doit impérativement en prévenir les dérives et nous en protéger.

Le juge dispose de bien plus de pouvoirs et de moyens humains que la commission nommée chargé du contrôle des activités de renseignement, totalement dépendante du pouvoir pour contrôler l’activité des services de renseignement. Ainsi, comme le déclare le Syndicat de la Magistrature : « Plus grave, tout le dispositif est placé entre les mains de l’exécutif évitant le contrôle par le juge judiciaire de mesures pourtant gravement attentatoires aux libertés individuelles qu’il est constitutionnellement chargé de protéger.

La vérification du respect des critères, particulièrement flous, de mise en œuvre de ces pouvoirs d’investigation exorbitants, est confiée à une commission qui fonctionne selon une logique inversée : pour les autoriser, un seul membre de la commission suffit, sauf en cas d’urgence, où l’on s’en passe. Mais pour recommander d’y renoncer, la majorité absolue des membres de la commission doit se prononcer, l’exécutif demeurant en dernier ressort libre d’autoriser la mesure. Et si la commission ne dit mot, elle consent. L’atteinte à la liberté devient ainsi la règle, la protection l’exception. » (4)

En plus de se passer du juge face à ces dérives, le pouvoir a décidé de ne pas consulter en amont les organisations de la société civile pour l’élaboration du projet de loi, ne l’a pas soumise à l’avis du conseil constitutionnel et utilise une procédure d’urgence de lecture de cette loi et de vote aux assemblées. Les partis politiques traditionnels ont d’ores et déjà dit qu’ils voteraient pour cette loi malgré tous ces vices de forme démocratique et les reproches et indignations des représentants des organisations de la société civile liées au numérique ou aux droits de l’homme. Une fois ce projet de loi déjà rédigé et déjà annoncé voté, les organisations de la société civile sont maintenant même consultées, dans la dernière ligne droite, très peu de temps avant le vote.

Parmi les organisations de la société civile réticentes à une ou plusieurs dispositions de la loi, il est important de noter : CNIL, CNNUM, Amnesty International, Barreau de Paris, ARCEP, AFDEL, Quadrature du net, Syndicat des avocats de France, Syntec, Renaissance numérique, Syndicat de la magistrature, FDN et FDDN, Reporters Sans Frontières, Conseil de l’Europe, LDH, CNCDH, CGT Police, L’ASIC, Georges Moréa (Commissaire de police), le Juge anti-terroriste Marc Trévidic et bien d’autres (cf leurs déclarations en annexe).

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces mesures sont largement contestées, au moins en parties, même d’organisations habituellement très favorables au pouvoir comme la CNIL et LE CNNUM, et il aurait été nécessaire de mieux consulter la société civile en amont pour prévenir une crise de confiance. Cette liste d’organisations en opposition avec la loi n’est pas exhaustive et, à ma connaissance, à part le syndicat de police Alliance (5), je n’ai vu aucune organisation de la société civile défendre ou vouloir amplifier ce projet pour garantir en la forme la sécurité de nos concitoyens ou le parapluie juridique des agents de l’Etat dans l’exercice de leurs missions. Si vous avez connaissance d’organisations de la société civile favorables à ce projet, je suis prêt à mettre à jour cet article pour leur donner à elles aussi une mention, voir un point de vue, mais, en toute sincérité, il n’y en a pas.

Les mesures techniques mentionnées par cette loi unique en son genre en Europe sont les suivantes :

  • Possibilité de captation de toutes données, pour une durée maximale de 30 jours à compter de leur déchiffrement (donc, tant qu’elles ne sont pas déchiffrées, elles peuvent être gardées indéfiniment à priori) pour les interceptions de sécurité, de 5 ans pour les données de connexion, de 12 mois en général.
  • Accès aux données de connexion en temps réel :

+ directement sur les réseaux télécom (boites noires)

+ sur des balises installées sur des objets ou véhicules,

+ sur des capteurs de proximité ciblant des mobiles communicants (IMSI Catcher)

IMSI Catcher

+ sur les STAD (système de traitements automatisés de données) bref, tout système et logiciel

+ sur des appareils de sonorisation dans les domiciles des personnes (micro, caméra, balises diverses…)

  • surveillance des communications internationales, pas seulement en France.
  • Des interventions possibles dans le monde entier par surveillance, manipulation ou destruction de données si un des champs de la loi est concerné (intérêts nationaux vitaux).
  • « Boite noire » dans les infrastructures des opérateurs réseaux (voir tout opérateur internet) pour :

+ récolte massive de données sociales privées, trie et détection des actes de terrorisme. Les algorithmes et modèles de données détectant la survenue d’actes de terrorisme ne seront pas connus des opérateurs hébergeant les mouchards. Ils utiliseront les métadonnées des citoyens à savoir IP, géolocalisation, numéro de téléphones, connexions… couramment nommée « pêche au chalut »)

+ ouverture des contenus des conversations privées, même cryptées, après filtrages des éléments les plus suspects, quoique le niveau de suspicion autorisant l’ouverture des conversation reste encore flou en l’état du projet de loi.

II/ Surveiller les citoyens sur internet pour sauver des vies : but ultime ?

1/ Quels sont les champs de sauvegarde et de secours concernés par la loi ?

L’article 811-3 défini les champs d’application de cette loi aux intérêts publics suivants :

« Art. L. 811-3. – Les services spécialisés de renseignement peuvent, dans l’exercice de leurs missions, être autorisés à recourir aux techniques prévues au titre V du présent livre pour le recueil des renseignements relatifs aux intérêts publics suivants :

« 1° La sécurité nationale ;

« 2° Les intérêts essentiels de la politique étrangère et l’exécution des engagements européens et internationaux de la France ;

« 3° Les intérêts économiques et scientifiques essentiels de la France ;

« 4° La prévention du terrorisme ;

« 5° La prévention de la reconstitution ou du maintien de groupement dissous en application de l’article L. 212-1 ;

« 6° La prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ;

« 7° La prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique.

 

Si on regarde l’étendue des champs où ces moyens de récolte d’informations privées vont être mis en oeuvre, la première des idées qui vient à l’esprit est que bien des champs du secours et de l’assistance aux victimes ne sont pas concernés.

Ainsi, les champs de la sécurité qui contiennent les plus forts taux de mortalité en France (santé, les accidents, les catastrophes naturelles, technologiques et sanitaires, suicides, crimes non organisés…), à la mortalité notablement plus élevée que le terrorisme ou les violences collectives, ne sont pas évoqués et ne bénéficient donc pas de ses données et moyens qui auraient pu être exploités eux-aussi pour sauver la vie de nos concitoyens. Tous ces champs sont écartés du projet de loi de renseignement alors que les informations que pourrait récolter le système de renseignement concerneraient, à la louche, plus de 99,9% des vies en péril habituellement.

A aucun moment le champ de la sécurité civile n’est clairement évoqué dans la loi alors que celui du terrorisme l’est à maintes reprises. La sécurité civile ne l’est pas non plus dans l’esprit de la loi, c’est à dire dans les discours des membres du gouvernement et des parlementaires. Tout juste la sécurité civile est-elle légèrement suggérée dans le terme très global de « Sécurité nationale » sans plus de détails quant aux moyens que le renseignement pourrait très hypothétiquement lui donner si on donnait à ce terme un sens large.

Lorsqu’est mentionné le terme de sécurité nationale, le projet de loi énonce clairement : « La référence à la notion de sécurité nationale, mentionnée par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et précisée, en droit interne, par l’article L. 1111-1 du code de la défense, inclut l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale, ainsi que la prévention de toute forme d’ingérence étrangère et des atteintes à la forme républicaine et à la stabilité des institutions. » Donc, ici aussi, il est évident que la sécurité civile dans bien des aspects (catastrophes naturelles, épidémie, catastrophes technologiques non terroriste…) ne concerne pas la sécurité nationale.

L’article L 111-1 du code de la défense définit lui aussi clairement la sécurité nationale comme « La politique de défense a pour objet d’assurer l’intégrité du territoire et la protection de la population contre les agressions armées. Elle contribue à la lutte contre les autres menaces susceptibles de mettre en cause la sécurité nationale. ».

Donc, la très grande majorité des crises de sécurité civile, bien que mortelles régulièrement, ne remettent pas en cause la sécurité nationale. Donc, à priori, celles-ci ne sont pas concernées par le champ de cette loi.

Enfin, si l’objectif était bien aussi de donner des moyens à la sécurité civile, la moindre des choses aurait été que les législateurs informent les citoyens au sujet de la captation de leurs données lors des événements météorologiques, géologiques, sismiques, hydrologiques, les alertes d’incident ou d’accident industriel ou nucléaire… Car là, l’actualité réelle des menaces dans ce domaine est autrement plus prégnante que celle des attentats terroristes mais les possibles atteintes à la vie privée du même coup beaucoup plus nombreuses elles-aussi.

Il ne fait donc aucun doute que la captation des informations personnelles et privées récoltées par ce système de renseignement n’a pas pour principal but de sauver les vies les plus souvent menacées en France. Prenons quelques exemples concrets pour montrer « l’éventuelle » utilité des données récoltées par la loi de renseignement pour d’autres champs de la sécurité.

 

2/ Exemples envisageables d’aspiration des données personnelles à d’autres champs de la sécurité que ceux énoncés par le projet de loi

Admettons que les mesures de surveillance de masse contenues dans cette loi soient efficaces dans la détection des menaces. Alors, bien des champs de sécurité auraient pu être intéressés par ces outils.

Prenons l’exemple les sapeurs-pompiers. Ils rêvent de disposer en temps réel des informations de géolocalisation des citoyens confrontées directement à une catastrophe naturelle comme une inondation ou un séisme pour venir directement les secourir en zone inondable ou sous les décombres. Ici, la captation des informations de géolocalisation est rendue possible par la loi mais pas explicitement dans le cas de catastrophes naturelles. Les sapeurs-pomiers, les SAMU, les secouristes et plus largement les acteurs de la sécurité civile semblent donc exclus de son champ alors même que le nombre de vies à sauver peut se compter par milliers.

Idem pour les suicides ; il aurait pu être « imaginé », même si cela fait froid dans le dos, qu’on aspire les données privées pour trouver des personnes suspectes de volonté d’actes de suicide et investiguer leurs échanges privés afin de leur porter secours avant qu’elles ne commettent l’irréparable et que des familles soient en deuil. Ce champ là de sauvegarde de nos concitoyens est lui aussi exclu, et ceci sans aucune ambiguïté car ne relevant pas de près ou de loin de la sécurité nationale. Pourtant, le suicide en France concerne bien plus de morts que le terrorisme.

La détection des crimes conjugaux, crimes qui concernent une femme tuée tous les deux jours en France (soit ici aussi bien plus que le terrorisme) est lui aussi exclu de ce champ de partage des informations du renseignement vers les secours aux personnes. Ainsi, on pourrait décliner ces exclusions législatives a autant de champs que la mortalité en France compte de problématiques.

Je tiens à nuancer ces exemples. Jusqu’à ce jour, les modèles prédictifs autour des masses de données sociales et privées n’ont jamais débouché sur des résultats fiables et exploitables sur le terrain. Edouard Snowden, spécialiste de l’agence américaine de renseignement, la NSA, a décide au péril de sa liberté, de lever le secret pour nous alerter des dérives de la surveillance de masse. Ainsi déclarait-il récemment que « la surveillance de masse…n’a jamais arrêté une seule attaque terroriste. » (6). Les systèmes sociaux sont des systèmes complexes chaotiques, sensibles aux conditions initiales pour leurs prévisions et donc imprédictibles et irréversibles, d’autant plus imprévisibles que leur prévision s’éloigne dans le temps. Pour détecter les signaux faibles, il ne faudrait plus seulement aspirer des dizaines de milliers de profils mais probablement ceux de toute la population avec une granularité très fine de la donnée sociale, là aussi sans aucune garantie d’aboutir. Je crois bien que les autorités s’en rendent compte mais que les enjeux sont ailleurs.  

 

3/ Sécurité et liberté

Certains consultants, ceux qui revendiquent leur proximité avec les autorités, s’accordent à dire qu’il faut restreindre nos libertés pour plus de sécurité. Or, la liberté ne s’oppose pas à la sécurité. Comme la sécurité, la liberté est partie prenante de notre instinct de survie car elle nous permet d’oser l’innovation en contexte de crise, de nous adapter à un monde en perpétuel changement, que nul ne peut ou ne devrait chercher à figer par des règles de sécurité trop contraignantes.

 

De plus, comme je viens de le montrer ici, l’objectif de cette loi n’est pas de prendre d’immenses moyens intrusifs pour sauvegarder la grande majorité des vies de nos concitoyens des multiples menaces mortelles autrement plus importantes que le terrorisme. Ce que permet ce projet de loi, c’est bien d’aspirer la vie privée de tous les citoyens, les données de toutes les entreprises dès qu’un contact « suspect » aura été détecté par un algorithme ou un officier du renseignement, sans le contrôle indépendant du juge garant de nos libertés et protecteur des dérives. Ainsi, en toute honnêteté, ou nous sommes face à de faux espoirs sur la détection du terrorisme par les modèles de prévision numérique ou sur une instrumentalisation de la sécurité sur le dossier du terrorisme à des fins de contrôle des masses et d’intrusion aisée dans la vie privée de tout citoyen, même des professions protégées (journalistes, avocats, juges…). Si l’ambition avait été d’utiliser nos données privées pour sauver des vies, le projet de loi aurait ciblé en priorité d’autres menaces bien plus mortelles dans notre société et sur des dispositifs bien moins intrusifs dans le champ social.

 

III/ Les dispositions de la loi de renseignement susceptibles d’avoir des effets sur notre résilience aux catastrophes via internet.

 

1/ Aspiration massive de données et saturation de débits en situation de catastrophe

Comme nous l’avons vu sur l’ouragan Sandy, les attentats de Boston, le séisme de Sendaï et bien d’autres catastrophes (7), le réseau internet est bien plus résilient face aux chocs et aux saturations que provoquent les catastrophes sur les réseaux de télécom que ne le sont par exemple les réseaux de téléphonie voix. Ainsi, il n’est pas rare en situation de catastrophe que l’on puisse s’informer et communiquer à partir réseaux sociaux comme Twitter alors que toute communication vocale est impossible et que les appels aux secours ne sont plus en capacité de recevoir les appels d’urgence. Ici, la résilience d’internet permet aux citoyens de continuer à s’informer de la situation, de prévenir leurs proches et de s’auto-organiser face à la catastrophe.

Quel est donc le rapport avec la loi de renseignement me diriez-vous ? La loi de renseignement, par l’aspiration massive de données au profit de l’Etat, « pourrait » tout simplement saturer et donc bloquer l’accès au réseau internet pour les citoyens, surtout dans un cadre de débits internet déjà dégradés par la catastrophe même, le rendant particulièrement sensible à ce genre d’opération. Au moment même où l’internet deviendrait le plus vital pour le citoyen, sa seule bouée de secours pour s’informer, communiquer et s’organiser ; l’Etat pourrait tout simplement fortement dégrader le réseau internet des opérateurs jusqu’à son blocage en aspirant massivement les données des citoyens, au nom de la sécurité nationale ! Bien entendu, ce risque de saturation des réseaux par l’Etat serait ainsi possible dans tout contexte de catastrophe mais encore plus probable pour les événements touchant à la sécurité nationale (actes de terrorisme, violences collectives), comme le définit cette loi. Ce point constitue une des mises en garde de l’ARCEP sur la disponibilité des réseaux (8).

2/ Une crise de confiance dans l’internet français

A cet aspect purement technique de la résilience d’internet, il faut ajouter un aspect purement psychologique, qui tient en la confiance dans le numérique et qui pourrait changer pour de bon et à long terme les comportements des internautes et des systèmes économiques et sociaux qui constituent l’internet en France.

Un citoyen se sentant surveillé sur internet, une entreprise ne bénéficiant pas des protections juridiques sur l’inviolabilité de ses clefs de cryptage, une association n’ayant plus de garantie sur la libre expression de ses opinions pourrait décider de restreindre, voir arrêter leurs partages d’informations en situation de catastrophe et au delà en temps normal. La résilience par le partage et la collaboration sur internet prendrait donc un sérieux coup dans l’aile, dans une société de surveillance. Mais au-delà des situations de catastrophe, plusieurs acteurs privés du web ont d’ores et déjà dit que cela serait préjudiciable dans la confiance et l’attractivité numérique de notre pays (cf annexes).

 

 Conclusion

Contrairement à ce qu’affirmait le 1er Ministre sur LCI (9) en disant « Le projet de loi prévoit expressément que cette surveillance renforcée concernera les télécommunications des seuls terroristes, cela démontre bien qu’il n’y aura aucune surveillance de masse; le projet de loi l’interdit », ce projet de loi renforce bien au contraire la surveillance de toute la population sur le territoire national par de multiples dispositions ne captant pas seulement les données et les messages des seuls terroristes. De plus, contrairement à cette annonce médiatique, il est marqué noir sur blanc dans le projet de loi que le champ d’application de ces mesures va dépasser le cadre de la seule lutte anti-terroriste, pour concerner les questions de sécurité nationale, de violences collectives et du crime organisé.

Comme nous l’avons montré ici-même, les organisations de la société civile sont très majoritairement contre cette loi pour un ensemble de raisons. Non seulement ces mesures sont gravement attentatoires à nos libertés car hyper-intrusives, sans le contrôle fort et indépendant du juge, mais elles ne permettent pas non plus de diminuer significativement les menaces qui pèsent sur nos concitoyens, que ce soit techniquement (les modèles prédictifs d’attentats terroristes sont un leurre), ni dans ses champs d’intervention qui concernent finalement assez peu les menaces les plus mortelles de nos sociétés (Pratiquement 100% des Français mourront d’autres chose que du terrorisme).

Quand nous mettons dans la balance ce que nous avons à perdre (nos données et échanges privés et la confiance numérique dans notre pays) avec ce que nous avons à gagner (pratiquement rien en terme de survie en l’état des statistiques de mortalité), il ne fait aucun doute que ce projet de loi ne constitue en rien un progrès, sauf pour les agents du renseignement ou les hommes et femmes de pouvoir.

 

Quelle résilience citoyenne face à cette catastrophe pour nos libertés et notre sécurité ?

Contrairement à la Secrétaire d’Etat au numérique qui soutient ouvertement des organisations illégales comme Anonymous (10) (organisation illégale qui pirate des sites de démocraties avec des caricatures de prophète et des croix de Saint-George, symbole des croisades (11)), j’appuie de mon côté la paix et tous les recours « légaux » pour faire reculer une des lois les plus régressives que notre démocratie ait connue. Si l’Etat est dans le mensonge médiatique et le soutien officiel à des organisations illégales, nous, citoyens, nous devons avant tout montrer l’exemple en utilisant la loi, nos droits et surtout pas la violence ou la privation de liberté comme le piratage, qui sont des régressions dans les Etats de droit et les démocraties.

Ainsi, comme dans toute démocratie, n’oubliez pas vos réflexes citoyens. Vous pouvez contacter par email ou courrier (et cela rapidement dans les jours qui suivent), votre député pour lui dire que vous ne voulez pas de boites noires sur vos connexions et vos échanges privés et que vous souhaitez que la justice exerce un contrôle fort et juste sur les dérives possibles et identifiées dans ce projet de loi sur le renseignement. Faites le d’abord seul puis, trouvez des proches qui acceptent de faire de même.

Je vous invite également à soutenir la Quadrature du net et à suivre l’actualité de Next Impact et de Numérama, qui nous informent chaque jour, dans la légalité et je dois dire plutôt courageusement, de l’évolution de nos libertés numériques. Telle est, je le crois, vos meilleures actions de résilience face à la régression de vos libertés et à l’exposition de vos données privées. Après, il sera trop tard. Vous et les générations futures en France devront apprendre à vivre sur internet avec un mouchard secret, sans contrôle indépendant du pouvoir.

Annexes

Citations et références :

(1) Le projet de loi :

http://www.assemblee-nationale.fr/14/projets/pl2669.asp

(2) La Main Rouge :

http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Main_rouge_%28groupe_arm%C3%A9%29

(3) L’affaire du Rainbow Warrior :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_du_Rainbow_Warrior

(4) Déclaration du syndicat national de la Magistrature :

http://www.syndicat-magistrature.org/Loi-renseignement-Tous-surveilles.html

(5) Propos rapporté par le syndicat de Police Alliance :

http://www.20minutes.fr/societe/1566531-20150319-projet-loi-renseignement-trois-faiblesses-pointees-policiers

(6) Déclaration d’Edouard Snowden sur la surveillance de masse :

http://www.rts.ch/info/suisse/6637002-edward-snowden-la-suisse-la-cia-et-son-possible-refuge-en-suisse.html

(7) Résilience technique d’internet en situation de catastrophe (#MSGUchat) :

https://www.i-resilience.fr/msguchat/archives-du-msguchat/

(8) Position de l’ARCEP sur la saturation du réseau internet :

http://www.arcep.fr/uploads/tx_gsavis/15-0291.pdf

(9) Déclaration du 1er Ministre M. Valls sur ce projet de loi :

http://www.lcp.fr/actualites/politique/169747-loi-sur-le-renseignement-il-n-y-aura-pas-de-surveillance-de-masse-assure-manuel-valls

(10) Soutien officiel de la secrétaire d’Etat au numérique A Lemaire à Anonymous :

http://www.numerama.com/magazine/32572-axelle-lemaire-applaudit-la-denonciation-publique-par-anonymous.html

(11) Capture d’écran des sites des autorités sénégalaises piratés par les Anonymous avec caricature du prophète et croix de saint George, symbole des croisades :

https://twitter.com/dembagueye/status/556868748637114368

 

Liste des organisations souhaitant modifier ou s’opposer au projet de loi en l’état:

  • CNIL :

http://www.cnil.fr/fileadmin/documents/approfondir/deliberations/D2015-078-PJLRenseignement.pdf et http://www.cnil.fr/linstitution/actualite/article/article/publication-de-lavis-sur-le-projet-de-loi-relatif-au-renseignement/

  • CNNUM :

http://www.cnnumerique.fr/renseignement/

  • Amnesty International :

http://www.amnesty.fr/Nos-campagnes/Liberte-expression/Actualites/Projet-de-loi-sur-le-renseignement-en-France-la-surveillance-de-masse-legalisee-14625

  • Barreau de Paris :

http://www.avocatparis.org/actualites-2015/2991-projet-de-loi-sur-le-renseignement-opacite-et-danger-pour-les-libertes.html

  • ARCEP :

http://www.arcep.fr/uploads/tx_gsavis/15-0291.pdf

  • AFDEL :

http://www.afdel.fr/actualites/categorie/actualite-afdel/article/projet-de-loi-renseignement-les-acteurs-du-numerique-s-inquietent-du-flou-qui-entoure-les-nouveaux-dispositifs-visant-une-systematisation-des-technologies-d-interception

  • Quadrature du net (multitude de communiqués) :

https://www.laquadrature.net/fr

  • Syndicat des avocats de France :

http://www.lesaf.org/blog-libertes.html?fb_746248_anch=2235924

  • Syntec :

http://www.syntec-numerique.fr/actualite/projet-loi-renseignement-patriot-act-francais

  • Renaissance numérique :

http://www.renaissancenumerique.org/tribunes/716-2015-01-19-11-11-54

  • Syndicat de la magistrature :

http://www.syndicat-magistrature.org/Loi-renseignement-Tous-surveilles.html

  • FDN et FDDN : communiqués à paraître bientôt
  • Reporters Sans Frontières :

http://fr.rsf.org/france-projet-de-loi-sur-le-renseignement-24-03-2015,47723.html

  • Conseil de l’Europe :

http://www.dw.de/council-of-europe-rights-chief-worried-by-french-bill/a-18329073

  • LDH :

http://www.ldh-france.org/projet-loi-relatif-au-renseignement/

  • CNCDH :

http://www.ldh-france.org/projet-loi-relatif-au-renseignement/

  • CGT Police :

http://cgtpolice75.fr/spip.php?article107

  • L’ASIC :

http://www.lasic.fr/?p=728

  • Georges Moréa (Commissaire de police)

http://moreas.blog.lemonde.fr/2015/03/20/un-avenir-prive-de-vie-privee/

  • Le Juge anti-terroriste Marc Trévidic :

http://www.lexpress.fr/actualite/projet-de-loi-sur-le-renseignement-les-reserves-du-juge-antiterroriste-marc-trevidic_1662838.html

Liste non exhaustive.

 

Nous sommes en travail collaboratif autour des communiqués en opposition à cette loi sur ce wiki :

https://wiki.laquadrature.net/PJL_relatif_au_renseignement#Positionnements

Vous pouvez rejoindre la quadrature du net pour y ajouter de nouvelles sources ici :

http://www.laquadrature.net/chat

 

Autre :

« Etude d’impact du gouvernement sur le projet de loi sur le Renseignement » – vide :

http://www.legifrance.gouv.fr/content/download/8529/108152/version/1/file/ei_renseignement_cm_19.03.2015.pdf

By Cédric Moro

Auteur du blog I-Resilience, je suis depuis plus de 20 ans au service de la prévention des risques majeurs, surtout en Europe et en Afrique. J'allie cette expertise avec mes compétences de développeur d'applications, passé par des grandes boites IT, pour vous écrire ici des articles aux croisements de ces deux mondes.

4 thoughts on “Surveillance et résilience sur internet”

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