Effets ionosphériques des variations du flux radio solaire sur les applications radio terrestres. Source : NiCT Japon.

Mise en garde : Sur ce blog, chaque article sur les Événements solaires extrêmes (ÉSE) se veut relativement autonome afin qu’un internaute qui entre sur une page ÉSE puisse comprendre le phénomène abordé en une lecture. Ce faisant, la lecture d’autres articles ÉSE peut venir éclairer le lecteur.

Structure de l’ionosphère et propagations des ondes radio par temps calme

L’ionosphère est la partie de l’atmosphère constituée avant tout d’ions. C’est donc un gaz ionisé, un plasma froid, dense mais partiellement ionisé (en collision), issu principalement de la photo-ionisation (un photon solaire, avec suffisamment d’énergie, interagit avec une molécule ou un atome en lui éjectant un électron ; formant alors un ion).

Il n’y a pas de limite claire entre la partie de la haute atmosphère qui est ionisée et l’espace de la magnétosphère. Néanmoins, par temps calme, il est considéré qu’à partir de 1000 Km d’altitude, les plasmas atmosphériques sont essentiellement contrôlés par la magnétosphère et il est donc admis que c’est la limite haute de l’ionosphère. A l’inverse, l’ionisation est considérée comme négligeable au dessous de 60 km d’altitude, constituant donc la limite basse de l’ionosphère.

Les couches ionosphériques

Les rayonnements ultra-violet (et X) solaires envoyés par notre soleil tout au long de la journée sont à l’origine de l’ionisation de l’atmosphère. Ces rayons ont la propriété d’enlever des électrons aux atomes et molécules neutres de l’atmosphère. La concentration d’électrons augmente avec l’altitude jusqu’à 300km mais de manière non linéaire. Ces ruptures dans les concentrations d’électrons découpent l’ionosphère en couches D, E, F1 et F2, partant de 60km à plus de 300km d’altitude, ayant des propriétés électriques et de réflexion d’ondes différentes.

Couches ionosphériques stratifiées en altitude (bleu foncé) selon leurs densités en électrons (ligne noire), variant en fonction du jour et de la nuit par temps calme. Credit: NOAA Space Weather Services (SWS).

Dans la couche D, la plus basse en altitude, la densité de l’air, relativement élevée, permet aux électrons générés par le soleil de retrouver rapidement un ion positif pour se recombiner en une molécule neutre si bien que la densité d’électrons y est très faible. Ce mécanisme de recombinaison est à l’origine de notre protection atmosphérique aux rayonnements solaires. Comme les limites des couches ionosphériques varient en fonction de l’exposition de la terre aux rayonnement solaires, ces limites varient en fonction donc du jour et de la nuit, des saisons, mais aussi en fonction du cycle solaire (la production de rayons X varie d’un facteur 10 au cours d’un cycle solaire) . La nuit, l’absence de rayonnement solaire permet une recombinaison plus rapide des charges opposées de l’ionosphère, ce qui se caractérise par une couche D qui disparaît et une couche E qui devient sporadique.

La propagation des ondes radioélectriques

Les fréquences d’ondes radioélectriques qui peuvent être réfléchies par ses couches ou qui les traversent pour joindre les satellites ont diverses applications comme résumées ici :

La propagation des ondes radioélectriques sur de longues distances dans l’atmosphère terrestre est liée à ces couches ionosphériques. Par temps calme le jour, les ondes radios très basses fréquences (VLF) et hautes fréquences (HF) envoyées depuis la terre, traversent la couche D, rebondissent généralement sur la couche E de l’ionosphère, puis sont renvoyées vers la terre ou elles rebondissent à nouveau vers la couche E, permettant ainsi leurs propagations sur de longues distances. A plus hautes fréquences, comme en VHF, les propriétés de réflexion seront surtout utilisées en couche F.

Cette propriété des ondes à parcourir de longues distances est un domaine essentiel de la navigation maritime et aérienne. Elles ont un coût dérisoire puisqu’elles ne nécessitent pas d’infrastructures de communications pour fonctionner. La VLF (3 à 30 KHz) est utilisée pour la navigation maritime, notamment sous-marine et militaire car ces ondes pénètrent dans l’océan. La HF (3–30 MHz) est très importante pour la communication d’urgence et de secours sur de longues distances. Elle permet aux secours ou aux victimes d’émettre et de recevoir au delà de l’horizon lorsque l’infrastructure de communication est à terre (comme lors de séismes ou de cyclones majeurs….) ou que l’émetteur est isolé (navire au milieu de l’océan). A noter que la VHF (30 à 300 MHZ) peut utiliser les couches ionosphériques mais, pour assurer une bonne qualité de service, beaucoup de services sur cette bande utilisent la réception directe par antenne, donc sans passer par les réflexions de l’ionosphère.

Altitudes des couches de réflexion des ondes radios MF, HF et VHF. Es = Couche E sporadique.

Pour trafiquer sur la bande HF, les radioamateurs suivent les émissions radioélectriques du soleil à travers les paramètres SFI (F10.7cm index et son dérivé l’index de Flux Solaire – Solar Flux Index – SFI) ansi que le nombre de tâches solaires (index SSN – Sun Spot Number). Les conditions sont bonnes quand le SFI dépasse 150 avec un SSN supérieur aussi à 150, permettant d’atteindre de très longues distances en HF. L’index SFI est un très ancien index en météorologie spatiale, très utilisé pour mesurer l’activité solaire et en particulier les émissions radios du soleil.

Mais lors d’un événement solaire intense, le SFI explose, la couche D s’intensifie et absorbe partiellement ou totalement les fréquences HF (et VHF), causant différents types de blackouts radios.

Les électrojets

Les électrojets sont des courants électriques (où circulent des électrons) autour de la couche E, en lien avec les convections de plasma solaire. Par temps calme, seul l’électrojet équatorial est en mouvement au niveau de l’équateur magnétique, alimenté surtout par les radiations solaires en extrême ultra-violet (EUV). Lors de vents solaires intenses, il apparaît des électrojets aux pôles, nommés électrojets auroraux, courants ionosphériques bien visibles lors des aurores discrètes. Lors de tempêtes géomagnétiques faibles à modérées assez habituelles, ces électrojets n’influencent que leurs propres latitudes magnétiques.

Les perturbations ionosphériques soudaines

Les atténuations d’ondes courtes ou perturbations ionosphériques soudaines sont liées à la recrudescence des rayonnements X et EUV lors d’éruptions solaires. Elles concernent le seul côté ensoleillé de la terre. Ces rayonnements induisent des élévations notables des densités d’électrons de l’ionosphère que l’on mesure à l’aide de l’indicateur TEC (Total Electron Content), plus élevé à l’équateur, là où l’incidence de ces rayons est la plus forte. Puis les TEC diminuent plus on s’élève en latitude, où que l’on s’écarte en longitude de l’impact, jusqu’à atteindre le côté nuit où le TEC est très faible.

Carte TEC de la NOAA sur une perturbation ionosphérique soudaine en date du 29/11/2023.

En cas d’éruption solaire mineure à modérée, les rayonnements X et EUV vont affecter la couche D de l’ionosphère, qui devient alors plus absorbante, empêchant les ondes radios de très basses fréquences (VLF) d’atteindre facilement la couche E.

A des échelles plus fortes de rayonnement X, lors des éruptions de classes M, les ondes HF sont elles aussi affectées par l’absorption en couche D et peuvent être perdues pendant des dizaines de minutes au plus. Pour les éruptions fortes à extrêmes (classées X), les blackouts radios HF peuvent durer des heures, avant que les recombinaisons entre électrons et ions produisent assez d’effet pour un retour, assez lent (en quelques heures), aux conditions normales de l’ionosphère.

Table des plus hautes fréquences radio affectées en fonction des classes d’éruptions mineures à fortes.
Carte typique de la NOAA des fréquences affectées par une perturbation ionosphérique soudaine, causée par une forte éruption solaire, donc de classe X.
Vidéo de la NOAA sur les prévisions des plus hautes fréquences affectées par absorption en couche D lors d’une perturbation ionosphérique soudaine liée à une éruption solaire modérée.
échelle R de sévérité des blackouts radio par perturbations ionosphérique soudaine (donc liés aux rayons X des éruptions solaires. Source : Met Office UK – NOAA. Traduction et infographie : I-Résilience.

Les sursauts radio solaires (radio bursts)

Dans une bien moindre mesure que la HF, les communications radios à plus hautes fréquences VHF, UHF et SHF peuvent être aussi brièvement affectées par éruptions solaires, à la manière dont le ferait une détonation de bombe atomique émise par le soleil transmise à la terre en quelques minutes (attention, on parle ici d’un effet d’ondes, pas d’effets radioactifs sur l’homme à terre, relativement négligeables).

Ainsi, Paul Harden de l’Observatoire national de radioastronomie américain (NRAO), note que « Le rayonnement micro-onde d’une éruption solaire est similaire au rayonnement ionisant. Il peut produire de puissantes énergies radio pendant plusieurs minutes après l’éruption, perturbant parfois les communications par satellite et VHF« . Il ne parle donc pas de blackout total de longue durée pour les plus hautes fréquences mais de mode dégradé, ne dépassant pas plus d’une dizaine de minutes.

Christophe Marqué et al. remarquent que de fortes rafales radios solaires ont été historiquement observées et analysées sur le soleil sur des fréquences de quelques dizaines de KHz à plusieurs centaines de GHz. Ces sursauts solaires se décomposent en plusieurs catégories.

  • Type II : vagues du choc de reconnexion de lignes électromagnétiques
  • Type III : liés aux flux d’électrons circulants sur des lignes de champ ouvertes ou longues,
  • Type IV liés aux populations d’électrons piégées dans des cordes de flux éruptives, souvent sur les éruptions de longue durée, pas forcément les plus intenses en X.

Les électrons se déplacent alors à des vitesses significatives par rapports à la vitesse de la lumière si bien qu’ils sont appelés électrons relativistes.

Les radars de contrôle au sol du trafic aérien, fonctionnant dans la bande 1 à 1,7 GHz, peuvent être aléatoirement perturbés par les sursauts radios solaires, lorsque leurs antennes pointent vers le soleil, dans une fenêtre de 2 à 3 h après le levé du soleil et avant le couché du soleil. Des sursauts radios solaires, très impulsifs et puissants (105 Solar Flux Units – SFU), qui arrivent en 30 minutes après le pic de rayons X mous, peuvent créer de faux échos d’avions, apparaissant sur les radars.

En haut : courbes de lumière en SFU de l’événement du 4 novembre 2015 à partir des spectrographes HSRS et ORFEES. En bas : courbes de lumière en dB relatifs du spectrographe HSRS à plusieurs fréquences
entre 600 et 1500 MHz.

Ces phénomènes d’interférence des sursauts radios solaires en fonction de la position de l’antenne à l’aube et au crépuscule ont été également constatés sur une bande plus large allant de 1 à 20 GHz par B. Bala et al. qui notent, pour des rafales > 103 SFU, que « de nombreux sites seront orientés dans la direction du soleil au même moment et que, par conséquent, une zone de service étendue pourrait être affectée par un seul événement de rafale« . Ils estiment que ces événements se produisent tous les 40-80 jours mais assez peu de fois dans l’année pour un site en particulier et que la fréquence de ses interférences radio augmente avec l’intensification du cycle solaire.

Les récepteurs du réseau GNSS (positionnement par satellite), qui travaillent eux aussi sur la bande L de fréquence de 1 à 1,7 GHz, sont affectés par ses sursauts radios solaires quand leurs antennes sont pointées proche du zénith.

La NOAA a publié une liste des plus gros sursauts radios solaires mesurés depuis 2000 en SFU (Solar Flux Unit) >50000, qui donne idée du retour de ces événements radios solaires extrêmes :

Liste NOAA des plus forts sursauts radios solaires mesurés (en SFU) de 2000 à ?. Les événements notés « a » sont liés à des saturations des instruments de mesure, qui sont calibrés en temps normal pour mesurer des variations bien plus faibles que celles-ci. Le maximum mesuré sur une série d’à peine 11 ans est à 502 000 SFU.

Pour la VHF, à plus basse fréquence donc, elle est utilisée par les avions lorsque la visibilité du sol est mauvaise. Les avions atterrissent alors guidés par des instruments (ILS), fonctionnant dans la bande 109.5 MHz. Les sursauts radios solaires peuvent perturber les instruments d’aide à l’atterrissage qui présentent alors des erreurs de non alignement de l’avion avec la piste.

Ces rafales radios solaires peuvent se produire sans qu’il y ait de tempêtes géomagnétiques et sur des éruptions non majeures mais généralement de longue durée. Par contre, aucune échelle de sévérité ne semble être établie au regard des sursauts radios solaires pour être annoncée en alerte, probablement parce que ces phénomènes sont encore largement imprévisibles à des échelles opérationnelles, même s’ils sont repérés avant qu’ils n’atteignent la terre. D’ailleurs, la NOAA ne prévoit pas, pour le moment, d’annoncer les sursauts radios solaires dans ces bulletins de météo spatiale à destination de l’Organisation de l’aviation civile internationale.

Les absorptions à la calotte polaire (ACP)

Les événements d’absorption au dessus de la calotte polaire sont des difficultés de propagation d’ondes en HF dans ou via les pôles. Ils sont liés aux ESP (Evenements solaires à protons) ou autrement nommé « tempêtes de rayonnement solaire » qui envoient de grandes quantités de protons qui s’engouffrent avec le vent solaire par les pôles. Ils ont l’inconvénient eux aussi de sur-ioniser la couche D, qui devient alors très conductive et absorbante, comme le matérialise les aurores polaires. Les ESP produisent leurs effets, même du côté nuit pour les plus intenses, en absorbant les communications HF transitant par les pôles qui deviennent dès lors impossibles, pendant quelques dizaines de minutes à plusieurs jours selon la taille de l’événement. La couche D devient elle réfléchissante pour les communications VLF ; communications VLF qui seront néanmoins dégradées. Il est alors recommandé d’éviter de passer par les pôles lors des communications HF et VLF.

échelle S de sévérité des blackouts radio par absorption au dessus de la calotte polaire (donc liés à des événements solaires à protons). Source : Met Office UK – NOAA. Traduction et infographie : I-Résilience.

Les blackouts radios liés aux orages ionosphériques

Les orages ionosphériques se développent lors de fortes tempêtes géomagnétiques liées au passage d’une masse coronale éjectée (EMC) par le soleil, qui arrive sur la terre en s’engouffrant dans l’atmosphère terrestre via les pôles.

Carte des fréquences radios affectées par absorption en couche D en condition de tempête géomagnétique G4, avec néanmoins ici un flux seulement modéré de rayons X et de protons. On devine ici que l’électrojet boréal se couple côté jour avec l’électrojet équatorial car même sur une forte ESP, sans éruption de rayons X concomitante, l’absorption à la calotte polaire en couche D reste cantonnée aux hautes latitudes magnétiques (voir cartes précédentes).

Ce qu’il faut bien comprendre, et c’est pas si compliqué, c’est que les rayons X de l’éruption solaire initiale sont déjà passés sur terre. Ce qui provoque ici l’augmentation soudaine de rayonnements côté jour au niveau de l’équateur, c’est le choc de la masse coronale sur la magnétosphère, qui sont des chocs de reconnexions des lignes de champs magnétiques, qui transmettent et accélèrent les électrons dans les lignes de champs de la magnétosphère ; ce phénomène libérant alors de forts rayonnements sur l’équateur à chaque reconnexion, au plus proche des chocs. C’est un peu comme si on rapprochait deux aimants, à un moment ils s’attirent jusqu’à s’entrechoquer et se coupler. C’est une propriété physique des plasmas, qui forment tous des champs magnétiques polarisés.

Pendant ces chocs de reconnexion qui ne durent que quelques heures, le temps du passage de la masse coronale, les charges de la masse coronale s’évacuent le long des lignes de champs de la magnétosphère jusqu’aux pôles où elles s’engouffrent verticalement dans l’atmosphère. L’atmosphère les absorbe alors progressivement au fur et à mesure de leur descente dans l’ionosphère de plus en plus dense en atomes et molécules neutres. Il faut ici comprendre que les lignes de champ de la magnétosphère aux pôles partent du noyau ferrique terrestre et que l’augmentation de la résistance de l’air empêchent les charges de suivre ces lignes et de l’atteindre. Comme la résistance de l’air devient trop forte, ces charges s’évacuent alors sur la couche E, très conductive, où elles sont récupérées dans les électrojets auroraux ; courants qui les attirent, mais les font circuler cette fois horizontalement dans l’atmosphère, en circuit relativement fermé. Elles continuent de s’affaiblir dans ces électrojets auroraux au contact de la résistance des molécules neutres, jusqu’à l’extinction du phénomène, qui commence avec la fin du passage de la masse coronale qui alimente ces électrojets. Mais les turbulences des électrojets causent des répartitions de chargés inégales dans l’ionosphère, qui se rééquilibrent sous forme d’orages ionosphériques, ce qui crée des impulsions électromagnétiques et modifient localement le champ géoélectrique. La répartition inégale de ces volumes de charges dans l’ionosphère et les intensifications plus ou moins variables des électrojets créent des phénomènes aléatoire d’absorption ionosphériques ou d’évanouissements d’ondes qui perturbent les communications radios.

Les SED – Densités d’électrons renforcées par l’orage

En conditions de tempêtes géomagnétiques fortes à extrêmes, l’électrojet équatorial s’amplifie vers de plus hautes latitudes et l’électrojet auroral descend en latitude jusqu’à renforcer leur couplage aux latitudes où ils se croisent. On parle alors de dynamo ionosphérique renforcée. Certaines zones des moyennes latitudes connaissent alors des SED (Storm-enhanced density), c’est à dire des densités d’électrons renforcées par l’orage, lorsqu’on les compare à d’autres zones de même latitude et proches. Ces SED, en plus de créer des impulsions géomagnétiques assez localisées, peuvent occasionner des coupures radios à des latitudes imprévues.

Vue de l’hémisphère nord, centrée sur le pôle nord, du contenu total du contenu d’électrons par une unité (TECU) montrant une zone à moyenne latitude où il y a une densité renforcée d’électrons (SED) dans l’ionosphère, visible sous forme de plume rouge, causant des perturbations radios imprévues pour le moment par les modèles.

En cas d’orage ionosphérique, le réfléchissement des couches ionosphériques est perturbé. La plus haute fréquence à partir de laquelle les ondes radios peuvent être réfléchies en couche F2, donc utilisables, fait elle aussi l’objet de surveillance, via le paramètre f0F2 (FMU : Fréquence maximale utilisable, MUF en anglais).

Carte ionosphérique au paramètre f0F2 lors d’une tempête géomagnétique modérée (Kp 6, voir 7) au 1er décembre 2023 (les G5, ça court pas les rues non plus).
échelle de sévérité G des blackouts et perturbations radios par orage ionosphérique (lors de tempête géomagnétique liée à l’arrivée d’une masse coronale). Sources : Met Office UK – NOAA. Infographie et traduction : I-Résilience.

Les scintillations ionosphériques

Comme nous venons de le voir, les irrégularités du plasma ionosphérique, que l’on mesure via les variations des densités d’électrons, influent sur la propagation des ondes radio. Lorsqu’un satellite transmet des données vers le sol, ces communications sont trans-ionosphériques et ont donc pour objectif de ne pas être arrêtées par des phénomènes de réflexions et d’absorption des couches ionosphériques . Ces communications satellites se font sur la bande L du spectre électromagnétique, c’est à dire entre 1 et 2 GHz.

Néanmoins à ces fréquences, les variations en densité d’électrons sur de petits volumes de l’ionosphère peuvent induire des retards, des réfractions et des fluctuations rapides d’amplitudes d’ondes et de phases, regroupés dans le terme de scintillations ionosphériques. Ces scintillations ionosphériques sont particulièrement gênantes pour les systèmes de positionnement par satellite car elles conduisent à des erreurs de localisation, d’horodatage voir, plus rarement, à des pertes de signal des récepteur au sol et donc des positions communiquées par les satellites en orbite.

La scintillation se produit lorsque le signal satellite traverse une petite structure dense en électrons de l’ionosphère (de 400m au moins à parfois quelques dizaines de kilomètres), située à quelques centaines de Km d’altitude.

Exemple de tomographie ionosphérique montrant des trajectoires de rayons coupant une grille de voxels (grille de voxels : grille de pixels 3D). Ici, les rayons envoyés par le satellite aux récepteurs traversent une forte densité d’électrons (en rouge) qui crée les scintillations.

La scintillation est plus fréquente aux basses et hautes latitudes ; les latitudes moyennes en subissant beaucoup moins fréquemment. Comme toutes les perturbations radioélectriques, la scintillation dépend fortement de l’heure, de la saison, du cycle solaire, de l’activité géomagnétique, mais est liée également aux ondes qui se propagent depuis la basse atmosphère.

Les caractéristiques globales des scintillations ionosphériques pendant le maximum et le minimum solaire en termes de puissance d’évanouissement.
Distribution spatiale et saisonnière de l’index RODI (Taux de variation des densités en électrons) issue des données du satellite Swarm.

Pour les échelles de sévérité des scintillations ionosphériques, se reporter aux tableaux ci-dessous.

Intensité des scintillations en fonction des échelles de sévérité des événements solaires. Source : Met Office UK-NOA. Infographie et traduction : I-Résilience.

Globalement, quoi que dégradées, les communications de positions par satellites ne sont jamais en blackout de longue durée.

Le cas des communications mobiles lors d’événements radios solaires extrêmes

Quant à la question que tout le monde se pose sur l’impact des événements radios solaires extrêmes sur les communications de nos téléphones mobiles et notamment sur les communications en 5G, prévues pour des applications sensibles en sécurité comme la chirurgie à distance, les véhicules autonomes, les smarts cities et leurs réseaux d’énergies et d’eau, est-ce que ces communications vont se couper et pendant combien de temps ?

Déjà, un premier indice pour se donner une réponse est que, dans les échelles de sévérité des coupures radio de la NOAA, du Met Office britanique, du NICT Japonais, pays plutôt alertes à informer leurs citoyens sur la météo spatiale, il n’est pas du tout question de coupures des communications des téléphones mobiles.

Giuliano Muratore, Teresa Giannini & Davide Micheli (qui ne déclarent aucun conflit d’intérêt dans leur article publié dans Nature ; deux des trois auteurs travaillent pour l’entreprise Telecom Italia), se veulent rassurant sur les contre-mesures à disposition de la technologie 5G en expliquant que les antennes relais ont de multiples dispositifs techniques, résilients aux perturbations radios solaires (NDLR : on parle de « station de base » et non « d’antenne relais » en termes techniques mais on va garder ce dernier terme pour rendre cela plus familier).

Les auteurs basent leur étude sur une éruption un peu forte X1.5 (mais loin d’être extrême) ayant touché notamment le nord de l’Italie au 3 juillet 2021. Ils constatent bien une dégradation du signal pour les téléphones mobiles à joindre dans la direction du soleil. Néanmoins, selon eux, des contre-mesures existent et la principale d’entre elle, automatisée, consiste à faire pointer le moins de cellules possible de l’antenne relais vers le soleil même si beaucoup de terminaux mobiles s’y trouvent. Les antennes relais ont l’habitude de couvrir beaucoup d’utilisateurs, non par réception directe du signal mais par diffusion électromagnétique des ondes. Ainsi, il n’est pas nécessaire d’orienter les cellules à l’azimut du soleil pour atteindre les utilisateurs qui y sont positionnés, réduisant ainsi les perturbations radios engendrées par l’éruption solaire. De plus, des paramètres de qualité du signal reçus par le téléphone mobile sont envoyés à l’antenne relais. Si le signal se dégrade trop, il sera dirigé vers une autre cellule de l’antenne relais susceptible de lui délivrer un meilleur signal.

Evolution du nombre d’utilisateurs de terminaux mobiles servis par des cellules orientées vers le soleil ou non orientées vers le soleil. A l’atteinte du pic de rayons X, il n’y a plus qu’une très faible part des cellules orientées soleil qui connectent des terminaux mobiles. (Globalement, à partir d’un certain seuil, plus l’index de flux solaire augmente, plus les terminaux mobiles se relient automatiquement aux cellules de la station de base non orientées vers le soleil ). Par temps calme, c’est 50% orientées soleil, 50% non orientées vers le soleil.

Néanmoins, il est toujours possible que des antennes relais (ou plutôt « stations de base ») soient perturbées dans leur globalité par des phénomènes de réflexion et de diffusion des ondes radios solaires dans le milieu urbain, quelque soit l’orientation horizontale des cellules de l’antenne relais vis à vis du soleil. Cette difficulté est vite contournée dans les milieux urbains denses où le terminal mobile captera le signal d’une autre antenne relais proche, non soumise à ces conditions très spécifiques.

Cette étude est récente (2022) et, si elle mérite d’être publiée dans Nature, c’est que l’on est encore dans le domaine de la recherche appliquée et pas de technologies solidement installées où publier ce genre d’article ne sert plus à rien. Plusieurs faiblesses pointent dans cette étude. La première est liée à la faiblesse de l’éruption solaire prise en compte mais les auteurs ne pouvaient faire autrement et c’est déjà très bien qu’ils aient soulevé le sujet. La seconde faiblesse tient au fait que le sujet des sursauts radios solaires (rafales très fortes) n’ait pas été soulevé, même un peu, alors que ces phénomènes d’interférences pourraient être très dommageables pour la continuité et la qualité de certaines applications sensibles. On a vu que les radios télescopes qui monitorent le flux solaire saturaient lors de ces sursauts radios solaires extrêmes car ils n’étaient pas calibrés pour des amplitudes extrêmes. Il est probable qu’il en soit de même avec les stations de base en téléphonie mobile puisque ces sursauts sont aléatoires, brusques et peuvent se produire lors d’éruptions très modérées.

Les phases de perturbations radios sur un événement solaire extrême

Résumons l’évolution des phases de perturbations radios lors d’événement solaire extrême avec cette vidéo de la météo spatiale australienne sur ce sujet.

Vidéo en anglais décrivant les différentes phases affectant les ondes radios terrestres lors d’un événement solaire extrême. Source : Service de météorologie spatiale australien.

Les échelles de sévérité de la NOAA et du MET Office ne sont pas très évidentes à mémoriser en un coup d’oeil synthétique, alors j’en ai fait une présentation plus synthétique et opérationnelle.

Graphique sur l’évolution des blackouts et des perturbations des communications radios et des scintillations selon la latitude, en contexte d’événement solaire extrême (éruption solaire, événement solaire à protons et tempête géomagnétique extrêmes).

Je n’ai pas lu de littérature scientifique sur ces phases de perturbations radios en événement solaire extrême, que j’ai donc nommées ici à ma manière. Néanmoins, les effets et leurs durées sont en grande partie repris de ceux donnés sur les échelles de sévérité du Met Office britannique et de la NOAA.

La phase de choc initial

La phase de choc initial est ici constituée des effets des rayonnements X et EUV de l’éruption (ici extrêmes) et est souvent accompagnée d’un Evénement solaires à protons (ici extrême aussi). Ces deux phénomènes sont « presque » ressentis instantanément dans l’ionosphère ; les protons étant moins rapides que les photons, les ESP commencent à arriver quelques dizaines de minutes après les rayonnements EUV de l’éruption, qui eux arrivent en 8 minutes du soleil. Dans ces cas d’éruptions extrêmes, une masse coronale de plasma dense (EMC) est souvent éjectée par le soleil, comme ce fut le cas lors de l’événement de Carrington en 1859, mais tout dépendra de sa vitesse spatiale de déplacement. Nous nous sommes placés dans le cas d’une EMC dense et relativement rapide arrivant en 2 jours, même si cela pourrait être plus rapide.

La phase de fenêtre radio

La phase de fenêtre radio représente une opportunité de communication radio HF entre la fin du choc initial et l’arrivée de la masse coronale. Néanmoins, cette fenêtre radio sera plus ou moins restreinte, voir complètement fermée (haute latitudes) ou dégradée (latitudes moyennes) selon la taille de l’événement ESP, qui peut durer des jours. Les communications longues distances en très basses fréquences utilisées en navigation devront emprunter un autre chemin que les pôles pour être plus efficaces.

La phase principale

La phase principale est liée à l’arrivée de l’EMC, donc à l’impact de grandes quantités de plasma fortement chargé dans l’atmosphère s’engouffrant par les pôles. Elle est nommée « principale » car les blackouts y seront plus massifs et de plus longue durée ainsi que les autres effets ressentis sur terre (aurores très brillantes à des latitudes inhabituelles, blackouts électriques liés aux super sous-orages, pertes plus ou moins brèves de position GPS…), où il sera impossible ou très difficile pour les secours de communiquer à longue distance en HF, voir en VHF. Cette phase est elle-même découpée en 3 sous-phases, passées sous silence sur ce graphique pour plus de clarté : phase 3-1 d’impulsion préliminaire liée au premier choc de l’EMC, puis phase 3-2 d’impulsion principale et enfin la phase 3-3 de rétablissement progressif perturbé une fois l’EMC traversée.

Cette présentation pourrait probablement être affinée mais les ordres de grandeur des durées et des intensités sont en gros ceux-là pour les différentes catégories d’événements extrêmes (R5, S5 et G5), à condition néanmoins que plusieurs éruptions et EMC puissantes ne se succèdent pas à brefs intervalles, ce qui aggraverait cette présentation, déjà extrême.

Sur ce graphique, il manque les perturbations radios aux basses latitudes, faute de données. Il est en revanche certain que les sévérités R5 de blackouts radio et de scintillations seront bien plus fortes aux basses latitudes qu’aux latitudes supérieures. Néanmoins, il subsiste une inconnue aux basses latitudes sur le couplage de l’électrojet équatorial avec les électrojets auroraux et sur les durées des perturbations engendrées. Je modifierai donc cette échelle en y ajoutant les basses latitudes dès que j’aurais plus de données mais je considère que cette présentation des phases en événement solaire extrême a déjà une portée opérationnelle, qui méritait d’être ainsi mise en évidence.

Je reste disponible pour compléter, affiner ou corriger cette page si certains lecteurs veulent y collaborer.

Annexes techniques

Sites internet perturbations radio & activité solaire

Met Office UK Echelle REchelle SEchelle G

N0NBH (Radioamateur). Sites radioamateur ouvert sur la météo des fréquences radio en fonction de l’activité solaire.

Jon Harder (Radiomateur). Carte de propagation HF

F4HTZ Comprendre et analyser les conditions de propagation des ondes

NOAA. « Radio communication dashboard » avec les prévisions d’absorption de fréquences en couche D et les flux de rayonnement X, de protons et de l’activité géomagnétique.

NOAA. Global D-Region Absorption Prediction Documentation

NOAA International Civil Aviation Organization (ICAO) Space Weather Advisory (experimental)

Météo Spatiale du Canada Données brutes sur les emissions radio solaires (F10.7cm – SFU).

Centre aérospatial allemand Carte mondiale des TEC et autres informations ionosphériques

National Astronomical Observatory of Japan. Nobeyama Radio Polarimeters – Latest Light Curves

Bibliographie & conférences

Paul Harden, NA5N (na5n@zianet.com) Solar activité & HF Propagation

Shasha Zou (Université du Michigan) Multi-scale ionosphere response during geomagnetic storms

Australian Gouvernement – IPS Radio and Space Services. HF propagation.

C. Marqué et al. Solar radio emission as a disturbance of aeronautical radionavigation. Journal of Space Weather and Space Climate (JSWSC), 20 pages. 2018.

B. Bala et al. « Noise in wireless systems produced by solar radio bursts« . AGU – Radio Science. Vol 37, Issue2. 2022.

Giuliano Muratore, Teresa Giannini & Davide Micheli « Solar radio emission as a disturbance of radiomobile networks » Scientific Reports (12, 9324). 2022.

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By Cédric Moro

Auteur du blog I-Resilience, je suis depuis plus de 20 ans au service de la prévention des risques majeurs, surtout en Europe et en Afrique. J'allie cette expertise avec mes compétences de développeur d'applications, passé par des grandes boites IT, pour vous écrire ici des articles aux croisements de ces deux mondes.

6 thoughts on “Les blackouts radio et scintillations en Événement solaire extrême (1-2)”

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