Alors que bien des catastrophes majeures nous rappellent l’importance vitale des cabines téléphoniques en situation d’urgence, un amendement voté par le Sénat sur la loi Macron programme leur disparition pour des raisons économiques (1).

Les files d’attentes devant les publiphones lors de l’ouragan Sandy à New-York ou suite au séisme et au tsunami de Sendaï au Japon témoignent pourtant de l’importance de ces moyens de communication lorsque les citoyens cherchent à trouver aide et secours à travers ces dispositifs de service universel. En effet, ceux-ci disposent en situation de réseaux électriques durablement perturbés d’une meilleure continuité de service que les téléphonies mobiles ou les connexions ADSL par lesquelles passent maintenant les appels quotidiens.

Le Japon et les Etats-Unis, bien que technologiquement beaucoup plus avancés que la France au niveau de leurs dispositifs de secours, notamment en communication d’urgence, ont décidé de maintenir et de renforcer ce service public vital sur leur territoire. La représentation nationale française préfère de son côté réaliser une économie de 1,6 millions d’€ en 2014 (2) en supprimant ce service universel (de secours) des charges des opérateurs Télécom et ainsi planifier une augmentation des recettes d’Orange (1,8 milliards d’€ de bénéfice net de l’entreprise en 2014) et des autres opérateurs Télécom obligés de subventionner cette mesure.

Je souhaite vous montrer en quoi la suppression des cabines téléphoniques est une erreur qui sera préjudiciable, voir fatale à beaucoup de sinistrés en situation d’urgence et qui affaiblira la résilience de nos territoires aux catastrophes.

Dans un premier temps, nous montrerons en quoi les cabines téléphoniques sont fortement utiles pour nos concitoyens en situation d’urgence. Puis, nous verrons pourquoi elles ont été conçues, maintenues voir reconditionnées par d’autres pays pour en faire des dispositifs importants et gratuits de la résilience de leur territoire et au-delà, de leur mission de service public universel.

 

I/ L’utilité des cabines téléphoniques pour les citoyens en danger

1/ Les citoyens en situation d’urgence hors catastrophes

Avant de nous intéresser aux situations de catastrophe majeures susceptibles de concerner un jour ou l’autre chacun de nous, je vous propose d’abord de comprendre les effets de cette disparition des cabines téléphoniques (aux appels d’urgence gratuits) sur les personnes les plus vulnérables lors des urgences quotidiennes ou chroniques en France (recherche d’hébergement pour les SDF, appels aux SAMU, aux sapeurs-pompiers ou à Police secours).

Pour les SDF, les appels au 115 pour demander un hébergement d’urgence, sont une nécessité quand arrive l’hiver. Si les abonnements sociaux en téléphonie mobile sont maintenant communs chez les SDF, la mise à disposition des cabines téléphoniques demeure toujours un enjeu de survie dans la rue, notamment en cas de vol, d’absence de rechargement électrique du téléphone portable ou de coupure de ligne. Ainsi, en supprimant les cabines téléphoniques, on détruit une possibilité offerte pour leurs appels de secours mais au-delà on participe à détruire leur lien avec la société en général.

Campagne de la fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés montrant que certains sans-abris ne possèdent pas même un téléphone mobile.
Campagne de la fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés montrant que certains sans-abris ne possèdent pas même un téléphone mobile.

Outre les SDF qui ont effectué certaines démarches pour utiliser un téléphone mobile et qui peuvent être tout de même concernés par cet abandon de service public, il y en a d’autres pour lesquels la cabine téléphonique est le seul moyen de communication en temps normal et donc lorsqu’ils sont en situation d’urgence. Ce n’est pas un hasard si certains dorment dans ou au pied des cabines téléphoniques pour pouvoir appeler ou être appelé.

SDF malade et couché dans un duvet entre une cabine téléphonique et le trottoir

De plus, beaucoup de sans papiers ne prendront jamais d’abonnement mobile pour ne pas être dans les fichiers de l’administration et ils comptent bien sur les cabines téléphoniques pour un centre d’hébergement ou simplement faire appel à une aide d’un de leurs proches.

En dehors des personnes exclues du système en France, tout un chacun pourrait avoir besoin d’une cabine téléphonique en cas d’urgence ; par exemple lors d’une agression avec violence et vol de portable ou un accident avec téléphone déchargé ou endommagé sans personne à proximité, où chaque seconde peut compter pour appeler les secours.

cabines-telephonique-appel-urgence

2/ Les citoyens en situation de catastrophe

En situation de catastrophe, les réseaux techniques sont fortement perturbés. Ainsi, il est commun que les lignes électriques ne fonctionnent plus, occasionnant des coupures de nos communications numériques : les portables ne sont plus rechargés, les modems ADSL ne sont plus fonctionnels et donc la téléphonie numérique ne passe plus.

Ainsi, dans cette situation de perturbations majeures sur les réseaux liées aux coupures de courant, les cabines téléphoniques sont généralement prises d’assaut par les sinistrés car elles sont souvent fonctionnelles électriquement, leur permettant de passer des appels à leurs proches, les secours, leurs assureurs… afin de trouver des solutions aux dangers et problèmes immédiats qui les concernent.

cabine telephonique séisme sendai
File d’attente devant une cabine téléphonique au Japon suite au séisme et au tsunami de Sendaï au Japon en 2011.

Les catastrophes majeures étant par définition peu fréquentes, nous ne voyons pas tout de suite le bénéfice des cabines téléphoniques, sauf au moment crucial où nous sommes alors pleinement reconnaissant qu’elles aient été maintenues.

Si l’ARCEP (Autorité de régulation des communications…) s’est bien gardée de souligner ce problème dans sa note pour la suppression des cabines téléphoniques (3) (4), cela aurait pourtant dû être son rôle, elle qui est garante de la disponibilité des réseaux pour les utilisateurs en toute circonstance. Il ne fait aucun doute pourtant que les cabines téléphoniques sont de premiers secours en situation de catastrophe et qu’une étude d’impact aurait pu porter sur le bénéfice de leur présence dans la résilience de nos territoires.

En effet, on oublie un peu vite que les publiphones sont des lignes sécurisées, en lien avec la gendarmerie, bénéficiant d’une autonomie électrique ou fonctionnant sur de faibles voltages en analogique, les rendant plus résilientes que les téléphones mobiles ou numériques en situation de communications dégradées, même avec des lignes inondées (mais non rompues) et lors de coupures électriques. Même si leur disponibilité n’est pas de 100%, elles ont été tout de même conçues pour mieux résister aux aléas de coupures électriques que les modes numériques de communication (5)  ! Néanmoins, si nos appareils nomades sont alimentées électriquement et reliés à internet, la communication par internet passe mieux que les appels vocaux classiques souvent bloqués en situation de catastrophe. Ainsi, il n’est pas rare de voir les médias sociaux continuer à fonctionner alors que les appels n’aboutissent plus. Mais encore faut il que tout le monde puisse alimenter électriquement ces appareils.

Ainsi, le maire Jean-Claude Rodriguez (Brissac), poursuivi par Orange devant le tribunal administratif pour avoir maintenu par arrêté municipal les publiphones sur son territoire, soulignait : « En prévision des crues centennales, on vient de nous installer une sirène en haut du clocher, mais par contre, on nous enlève les cabines, qui sont les seules lignes à fonctionner en cas d’orage » (6). On garde donc l’ancien système d’alerte de masse par sirène hérité des guerres mondiales du siècle dernier mais on perd tout de même la communication à double sens sécurisée permise par les cabines téléphoniques, elle aussi héritée du siècle dernier.

 

II/ Remettre ce service universel de communication d’urgence dans nos dispositifs de résilience

Si ce maire résiste presque seul pour maintenir ses cabines en état de marche lors de catastrophes ; à n’en pas douter certains l’accuseront d’une vision dépassée de cabines téléphoniques désuettes,  négligeant ses arguments majeurs dans le domaine de la sécurité civile.

Pour autant dépassées les cabines téléphoniques, disent-ils ? Pas du tout. Je me réfèrerai donc aux exemples suivants, celui de la ville de New-York et celui du Japon.

Ces deux autorités, non seulement maintiennent leurs cabines téléphoniques sur leurs territoires, mais font de plus de ces publiphones de véritables supports de résilience offerts à leur population en situation de catastrophe et d’urgence et au-delà, en offrant un vrai service public de communication en temps normal.

Comme nous l’avons vu à maintes reprises sur ce blog, l’utilisation des téléphones portables en situation de catastrophe est primordiale pour nos concitoyens et on ne peut que se réjouir que ce gouvernement annonce lui aussi qu’il souhaite mettre fin aux zones blanches. Si les antennes relais ont une relative autonomie de plusieurs heures et pourraient être vite relevées en cas de défaillance, la remise en état du réseau électrique prend généralement bien plus de temps, notamment si le territoire impacté est vaste. Ainsi, beaucoup de citoyens n’auront plus de batteries pour utiliser leur téléphone mobile, même lorsque les antennes relais seraient opérantes.

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Citoyens new-yorkais offrant des rechargements aux appareils mobiles via leurs groupes électrogènes suite à l’ouragan Sandy en 2012.

Confronté à l’ouragan Sandy, nombre de New-Yorkais ont cherché les moyens de recharger leurs appareils nomades et des initiatives citoyennes de solidarité visant à les aider sont apparues à des endroits de la mégalopole. Lors de passage de cet ouragan, des cartes en ligne recensant les cabines téléphoniques, les points d’accès wifi ouverts et les lieux de rechargement étaient réalisées par les citoyens pour les citoyens (7).

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Citoyens new-yorkais en file d’attente devant des cabines de téléphoniques suite au passage de l’ouragan Sandy en 2012.

Suite à cette catastrophe, la ville a souhaité prévenir ces problèmes majeurs dans la planification de sa gestion d’urgence tout comme dans son projet numérique urbain. Ainsi, au lieu de démanteler toutes ses 7000 cabines téléphoniques comme nous le faisons en France, la ville de New-York compte toutes les rénover et en ajouter 3000 de plus (8) ! Devrons nous attendre une telle catastrophe en France pour légiférer ce genre de plan pour la création de cabines téléphoniques dont on aurait aujourd’hui ruiné le parc ? Le fait de devoir posséder un téléphone portable pour passer un appel aux secours exclu de la réalité la plus élémentaire la notion de service universel de secours mis à disposition de la population. Seule la cabine téléphonique autonome, de proximité et en accès libre pouvait en être le socle car n’excluant aucun citoyen, notamment celui sans téléphone portable fonctionnel.

La rénovation du parc de cabines téléphoniques de la ville de New-York a porté sur les points suivants (8) :

  • Maintien de la fonction de téléphonie classique avec gratuité des appels notamment aux numéros d’urgence
  • Mise en place d’un point de connexion Wifi gratuite couvrant les 50 mètres autour de ces 10 000 cabines
  • Mise à disposition de dispositifs de rechargement électrique des téléphones et ordinateurs portables

La municipalité de New-York, une des plus connectée du monde, n’hésite pas comme notre maire rural, à parler de ses cabines téléphoniques comme d’un accès vital en cas d’urgence, d’un service nécessaire, gratuit et équitable pour ses citoyens, tout comme d’un atout économique (9). Et, cerise sur le gâteau, ses cabines ne sont pas financées par l’impôt mais par les revenus de la publicité, qui permettent de plus de dégager des revenus importants pour la collectivité. Dans le cas français, nous pourrions imaginer que ces revenus publicitaires de publiphones des grandes villes soient redistribués vers les communes où les retombées prévisibles en publicité des cabines sont moins importantes.

cabines téléphoniques au Japon
Les cabines téléphoniques au Japon sont non seulement maintenues mais conçues pour résister aux catastrophes. les grises permettent de plus de se connecter à internet.

De même au Japon, même si le nombre de cabines a diminué avec l’augmentation des mobiles, il se maintient toujours à un niveau raisonnable et il n’a jamais été question de les supprimer en totalité. Les cabines téléphoniques au Japon sont prévues depuis bien longtemps pour résister aux catastrophes en vue d’échanger des appels gratuits et, pour certains modèles même, des données sur internet (10).

En Angleterre, ces cabines sont maintenues et même munies d’un défribilateur automatique (11), voir de panneaux solaires.

Conclusion

Au lieu de moderniser nos publiphones en des outils plus fiables de communications vocales d’urgence, en points d’accès à internet et en dispositifs de rechargement des appareils nomades en toute circonstance, la représentation nationale préfère les supprimer définitivement (12), alors même qu’ils sont un dispositif important d’utilité publique en situation d’urgence et sont parties prenantes des stratégies de résilience des pays les plus avancés.

Je pourrais faire ce genre de constat à bien d’autres dispositifs de communication d’urgence laissés à l’abandon comme le projet de rénovation du Système d’alerte et d’information des populations en France, finalement restreint aux sirènes, comme au siècle dernier (au revoir la diffusion cellulaire, déploiement de LTE….)…

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Cet article a du être réécrit, en partie, en date du 26 mai.

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(1) Next Inpact – 20/04/2015. « Le démantèlement des cabines téléphoniques avalisé par les Sénat » http://www.nextinpact.com/news/93870-le-demantelement-cabines-telephoniques-avalise-par-senat.htm#/page/14

(2) Calcul de 1,6 million d’€ issu des chiffres contenus l’article de Next Inpact soit 13,6 million de coût d’entretien moins les 12 millions de recettes. Remarque : je n’ai vu aucune étude sur les retombées économiques indirectes de la fin des cabines téléphoniques sur les profits des entreprises comme par exemple l’obligation de l’utilisation du roaming plus cher pour les visiteurs étrangers que l’achat de communications locales via les cabines…

(3) Numérama – 03/01/2015. « L’ARCEP veut que les cabines téléphoniques puissent disparaître » http://www.numerama.com/magazine/27938-l-arcep-veut-que-les-cabines-telephoniques-puissent-disparaitre.html

(4) Avis de l’ARCEP du 16/04/2015 sur la remise en cause du service universel par cabines téléphoniques http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000028425688&dateTexte=&categorieLien=id

(5) Blog SOS Conso du Monde – 08/04/2015 « Quel avenir pour les cabines téléphoniques en milieu rural ? » http://sosconso.blog.lemonde.fr/2015/04/08/quel-avenir-pour-les-cabines-telephoniques-en-milieu-rural/

(6) France TV Info -18/04/2015. « Qui sont ces irréductibles qui se battent pour sauver les cabines téléphoniques ? » http://www.francetvinfo.fr/societe/qui-sont-ces-irreductibles-qui-se-battent-pour-sauver-les-cabines-telephoniques_879255.html

(7) I-Résilience – 27/04/2012. « Cartographie 2.0 et risques majeurs en France : au travail ! » https://www.i-resilience.fr/2012/11/cartographie-2-0-et-risques-majeurs-en-france-au-travail/

(8) ZDNET – 19/11/2014. « New York fait le pari du Wi-Fi gratuit, en recyclant ses cabines téléphoniques » http://www.zdnet.fr/actualites/new-york-fait-le-pari-du-wi-fi-gratuit-en-recyclant-ses-cabines-telephoniques-39809783.htm

(9) City of New-York – May 1 2014. “New-York city issues request proposals build citywide Wi-Fi network state of the art” http://www1.nyc.gov/office-of-the-mayor/news/193-14/new-york-city-issues-request-proposals-build-citywide-wi-fi-network-state-of-the-art

(10) Nippon Telegraph and Telephon West Corporation – “Disaster Prevention Countermeasures” http://www.ntt-west.co.jp/ptd_e/basis/disaster.html

(11) Secoursime.net – 20/03/2013. « Grande-Bretagne : les cabines téléphoniques sauvent des vies » http://www.secourisme.net/spip.php?breve337&lang=fr#forum5900

(12) Univers Freebox – 17/04/2015. « Emmanuel Macron : Les cabines téléphoniques ne disparaitront qu’avec la fin des zones blanches » http://www.universfreebox.com/article/30001/Pour-Emmanuel-Macron-les-cabines-telephoniques-ne-disparaitront-qu-avec-la-fin-des-zones-blanches

 

By Cédric Moro

Auteur du blog I-Resilience, je suis depuis plus de 20 ans au service de la prévention des risques majeurs, surtout en Europe et en Afrique. J'allie cette expertise avec mes compétences de développeur d'applications, passé par des grandes boites IT, pour vous écrire ici des articles aux croisements de ces deux mondes.

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